JACQUES-BERNARD MAGNER

especlermontPré-recrutement des profs : « ne pas attendre le M1 pour voir les élèves ! »
Alors que JM Blanquer prévoit de développer le pré-recrutement des profs, le sénateur Jacques-Bernard Magner défend la possibilité de réaliser des stages en classes dès la licence. Mais cette idée bloque pour des raisons financières.

Sénateur, ex-professeur des écoles et vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, Jacques-Bernard Magner a présidé, de 2012 à 2013,un groupe de travail sur le pré-recrutement des enseignants.

Pourquoi « pré-recruter » les enseignants ?

Cela permettrait d’élargir le vivier des candidats, pour répondre à la crise du recrutement qui touche la profession d’enseignant. En attendant la fin de la L3 pour ouvrir les portes de la formation, on laisse le temps à beaucoup de jeunes de se réorienter ou de partir dans une autre voie, sans avoir pu tester leur intérêt pour le métier.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Avant 1990, ceux qui entraient dans les écoles normales d’instituteurs savaient déjà qu’ils deviendraient professeurs et étaient rémunérés durant toute leur formation, contre l’engagement de travailler dix ans pour l’Education nationale.

Entre la création des IUFM et celle des ESPE en 2013, ce modèle n’a plus été appliqué : les étudiants n’étaient plus rémunérés. La loi de Refondation de l’École a rétabli les stages en situation (en Master MEEF), ainsi que des stages d’observation en licence, afin de permettre aux étudiants de découvrir comment fonctionne une classe. Les futurs enseignants ne sont rémunérés qu’à partir du M2, mais la formation actuelle suit l’une des recommandations de mon rapport de 2013 : essayer, le plus possible, de permettre aux jeunes qui se destinent à enseigner, de voir des élèves.

Le pré-recrutement reste embryonnaire. Il y a déjà plus de sensibilisation au métier qu’avant, mais il faut aller plus loin. Durant les années de licence, en L2 et L3, ceux qui veulent vraiment devenir professeurs devraient avoir la liberté et le temps de se rendre dans les écoles, et réaliser des stages, afin de voir travailler une classe avant de se lancer dans une formation d’enseignant.

Dans certaines régions, ce système a été mis en place – à Clermont-Ferrand, l’université, l’ESPE et le rectorat ont mis en place des stages d’observation et de découverte. Mais beaucoup d’académies ne font qu’attendre le M1 et le M2 pour que les étudiants aillent voir les élèves…

Il existe aussi des étudiants apprentis professeurs (ex-emplois d’avenir professeurs), rémunérés et sur le terrain – mais ce dispositif reste très limité : il ne s’adresse qu’à ceux qui veulent devenir profs de maths, de lettres, d’anglais ou d’allemand, ou profs des écoles, dans uniquement 5 académies (Amiens, Créteil, Guyane, Reims, Versailles). Et seuls 1100 apprentis professeurs sont recrutés chaque année.

L’idée, c’est aussi de d’attirer des publics aux parcours différents…

Dans un métier qui perd beaucoup d’attractivité, le pré-recrutement permet d’aller chercher les jeunes de tous horizons, notamment ceux issus des couches populaires – et de leur donner les moyens de devenir enseignants grâce à des bourses. Beaucoup arrêtent leurs études par manque de moyens, et s’ils étaient soutenus financièrement, ils pourraient faire de grands enseignants. Ce métier doit être un métier choisi, et pour cela il doit être ouvert à tous, dès la licence. Il faut pouvoir faire sa promotion auprès de tous les étudiants, qu’ils soient à l’université ou dans des filières techniques.

Que sont devenues vos recommandations suite à vos travaux ? Pourquoi Jean-Michel Blanquer semble-t-il être le premier à parler du pré-recrutement, aux côtés du SNUIPP ?

Nos recommandations ont été reprises, mais partiellement, par Vincent Peillon, qui était alors en plein lancement de la loi de Refondation de l’École. Il a essayé d’intégrer le plus de choses possibles, notamment avec les emplois d’avenir / apprentis professeurs ; mais il s’est heurté à un problème de moyens. Il faut pouvoir rémunérer les personnes que l’on pré-recrute ! Pas la peine de proposer à des étudiants de tester leur intérêt pour l’enseignement, sans rémunération. Certains vont décrocher, par manque de moyens.

Je ne sais pas encore ce que veut faire Jean-Michel Blanquer, mais il nous a apparemment entendu. Cette idée a fait son chemin, notamment auprès des syndicats. Mais le problème reste financier. L’idée des apprentis professeurs va dans le bon sens, mais il faut pouvoir la développer largement plus. L’Education nationale doit aussi accepter d’ouvrir plus ses classes pour accueillir des étudiants venus en observation.

Qu’en serait-il, avec le pré-recrutement, de la place du concours MEEF ?

Ce qui empêche des jeunes d’être volontaires pour se diriger vers l’enseignement, c’est aussi l’existence d’un concours, que l’on n’est jamais sûr d’obtenir. Il devrait pouvoir valoriser ce que l’apprenti ou le jeune pré-recruté a pu acquérir durant ses stages d’observation, avant le M1. Il est bien sûr plus difficile de valoriser ces formes d’acquis, que de créer des épreuves cognitives ou académiques traditionnelles…

Fabien Soyez - 20 décembre 2017